Les initiatives nationales risquent de faire dérailler la législation sur les services numériques
Date
Sections
Qu'est-ce qui est proposé ?
En décembre 2020, l'Autriche a approuvé sa loi nationale contre les discours de haine ("KoPI-G") ainsi que la “loi contre la haine en ligne”. En Allemagne, le législateur est en train de mettre à jour la loi sur l'application des réseaux ("NetzDG"). La Hongrie, quant à elle, a déjà prévu de proposer de nouvelles règles pour l'industrie numérique dans les prochains mois. D’autres pays envisageraient également d'adopter leurs propres règles. Le plus ironique peut-être est que le Commissaire français en charge du dossier DSA, instituant des règles au niveau européen, voit son pays d'origine semble faire fi des discussions autour de son projet, et préfère proposer ses propres règles nationales. Pour rappel, en janvier dernier, Cédric O, le Secrétaire d'Etat chargé de la transition numérique et des communications électroniques, a annoncé que "le gouvernement français avait déposé un amendement au projet de loi Principes Républicains introduisant des obligations de modérations aux réseaux sociaux, par anticipation du DSA".
Pourquoi la multiplicité des règles nationales pose-t-elle problème ?
Bien que cela puisse surprendre, il existe plus de 10 000 plateformes en ligne dans l'UE. Nombre d'entre elles devront se conformer aux règles européennes et à la mosaïque d'initiatives nationales qui se dessine. Cette mosaïque de règles - d’autres parleront de cacophonie réglementaire - présente des obstacles réels à leur croissance et augmenteront inévitablement les coûts de mise en conformité.
C’est d’autant plus vrai que les règles nationales ne reflètent pas les nouvelles règles de l'UE et sont souvent en contradiction avec le DSA.
Prenons l'exemple de la France: la notion de "plateformes en ligne" telle que définie par le Code national de la consommation, diffère de celle proposée par le DSA. En pratique, cela signifie qu’une entreprise peut être sujette aux règles françaises sans qu’elle ne le soit au niveau européen, et vice versa. Par ailleurs, les obligations de diligence raisonnable seront très différentes.
Pour ajouter toujours un peu plus de complexité, les règles françaises ne s'appliqueront pas seulement aux plateformes établies en France mais aussi à celles établies dans d'autres pays de l'UE.
Un des piliers du marché intérieur est le principe du "pays d'origine”, tel qu’énoncé dans la directive sur le commerce électronique. Ce principe signifie que les entreprises dont l’objet est la fourniture de biens et de services transfrontaliers appliquent les règles et se soumettent aux régulateurs du pays où elles sont établies, plutôt que de chaque État membre où elles opèrent. De toute évidence, le projet de loi français semble abandonner ce principe élémentaire, peu importe ce que Bruxelles décidera.
L'exemple français montre comment une entreprise peut se retrouver soumise à plusieurs lois nationales et européennes potentiellement contradictoires. Si nous venions à examiner chaque initiative nationale, les comparer avec le projet européen, et en déduire le coût supplémentaire de conformité et d’incertitudes juridiques, nous constaterions rapidement que le niveau de complexité et de contradiction est inapplicable.
Il va sans dire que s'il serait extrêmement difficile pour les entreprises d'appliquer autant de règles différentes, surtout pour les petites et moyennes entreprises (PME) qui se verraient inévitablement plus lourdement touchées.
Que faut-il faire ?
Si les inquiétudes et l'impatience des responsables politiques nationaux sont compréhensibles, la priorité doit être donnée au projet de règlement DSA, et non à l’édiction de législations nationales plus contradictoires les unes que les autres. Comme la Commission européenne l'avait rappelé aux autorités autrichiennes, "tout en poursuivant un objectif politique légitime, les mesures nationales sont susceptibles d’amplifier la fragmentation juridique existante du marché intérieur".
Si la Commission européenne veut atteindre son objectif d'harmonisation des règles au sein de l'UE, elle se doit d’éviter la cacophonie réglementaire de plus en plus grandissante dans les États membres et veiller à ce que le DSA établisse un cadre réglementaire harmonisé et clair pour l’ensemble des plateformes en lignes et leurs utilisateurs.