Directive copyright: un débat impossible en France
Date
17 Jan 2019
Sections
InfoSociety
Innovation & Enterprise
Par : Pierre-Yves Beaudouin | Wikimedia France
Pierre-Yves Beaudouin est le président de l’association Wikimédia France.
Wikipédia, un anti-droit d’auteur ?
Durant les débats de ces derniers mois, Wikipedia a été présenté comme un anti-droit d’auteur par de nombreux partisans de l’article 13. Née en pleine période de piratage massif de la musique, l’encyclopédie Wikipédia repose sur un système juridique basé sur le droit d’auteur et la création de son propre contenu. Le piratage n’a jamais été la règle et la communauté passe de nombreuses heures à expliquer et faire respecter le droit d’auteur. Les wikipédiens sont des créateurs comme les autres et sont régulièrement victimes de plagiat.
Protestation généralisée
Les articles 11 et 13 de la directive Copyright n’en finissent plus de se mettre à dos les internautes. Après les chercheurs en informatique, les jeunes artistes, les bibliothécaires, les universitaires, les pères fondateurs d’Internet, les forges de logiciel open source, les makers ou de nombreux sites web (Medium, Qwant, Redditt, Twitch, Twitter, Vimeo, Youtube…) et la mobilisation des rédacteurs de Wikipédia, ce sont les Youtubeurs eux-même qui invitent les eurodéputés à ne pas généraliser à l’ensemble d’Internet le système de filtrage à l’œuvre sur Youtube. Pour couronner le tout, la pétition citoyenne n’en finit pas de grimper : 4,3 millions de signataires.
Malgré ces nombreuses protestations, le législateur et les gouvernements européens refusent de revoir leur projet. Au final l’article 13 va se traduire par la mise en place de solutions de filtrage automatique du contenu posté sur les plateformes par les internautes et restreindre la possibilité de diffuser du contenu, ce, au détriment de la possibilité de s’exprimer et de la liberté d’expression. Pire il ne prévoit pas de mécanismes suffisants pour permettre aux internautes de contester facilement les suppressions et les démonétisations de contenus injustifiées.
Le Trilogue n’a rien arrangé
À force de compromis et tentatives de passages en force du texte, on ne voit plus très bien à quoi sert la directive. À l’origine, la Commission européenne a proposé de mettre à jour et d’harmoniser certains aspects de l’accès en ligne à l’information et à la connaissance dans l’Union européenne. Selon le législateur, l’émergence de nouveaux services, la possibilité de partager des informations et l’utilisation croissante de l’apprentissage automatique pour extraire des connaissances nécessitent une révision du cadre juridique de la législation européenne sur le droit d’auteur. Nous partageons ce point de vue et le mouvement Wikimedia est impliqué depuis 2016 dans les différentes phases d’élaboration de la directive.
Or il n’est plus question d’harmoniser le droit d’auteur au sein de l’Union européenne. Pas plus de le moderniser vraiment (règles concernant la fouille de texte incohérentes, exception User Generated Content et prise en compte de la culture du remix improbables, etc.) ou de favoriser l’innovation et l’émergence de nouveaux acteurs. La réforme du droit d’auteur sur Internet semble avoir été détournée de son objet initial pour simplement servir à réguler et obtenir plus d’argent de Youtube pour l’industrie musicale. Est-ce vraiment le but d’une directive européenne qui va s’appliquer dans l’espace économique européen pendant une vingtaine d’années ? Le seul article, le -14, qui fut rajouté lors des débats au Parlement européen, qui assurait une proportionnalité de revenus aux auteurs par rapport à l’argent créé autour d’un contenu posté est lui remis en cause lors des discussions du Trilogue entre Commission, Parlement et Conseil européen. Cela ne va pas en s’améliorant au fur et à mesure des versions du texte issues des discussions, c’est même de pire en pire.
Généralisation d’une technologie immature au détriment de l’innovation en Europe
L’exemption des startups et PME qui avait été proposée par le parlement, serait elle aussi remise en cause. Incohérent avec tous les discours tenus à longueur d’année sur l’importance d’avoir des plateformes européennes compétitives et de favoriser l’éclosion de champions européens. La responsabilisation immédiate des plateformes des contenus postés par les internautes est un frein énorme pour toute création de nouvelle plateforme. La réforme européenne souhaite imposer la technologie imparfaite de filtrage utilisée sur Youtube pourtant décriée à longueur de journée par les utilisateurs de la plateforme. De nombreux partisans de l’article 13 reconnaissent que cette technologie ContentID n’est pas au point et ne peut être généralisée à l’ensemble du contenu sur Internet : Ils estiment que la main invisible du progrès permettra à l’humanité d’avoir une technologie au point dans le futur qui reconnaîtrait les exceptions au droit d’auteur, fondamentales pour notre démocratie (information, éducation, parodie, remix, etc.). Il ne reste plus qu’à espérer qu’elle voit le jour d’ici une vingtaine d’années (durée d’application probable de cette directive) et non dans un siècle. Un pari dangereux.
Des conséquences néfastes sur la diffusion des connaissances, sur l’accès à l’information, l’objectif premier de Wikipédia
Concrètement, vous souhaitez diffuser un article ou une illustration sur une plateforme, il y aura un risque que la solution de filtrage automatique, déployée pour respecter la directive, rejette votre contenu ou bloque votre compte au bout de plusieurs tentatives alors que le contenu est parfaitement légal. Des vidéos de Bach ont bien été supprimées de Youtube, il est donc tout à fait imaginable qu’à l’avenir des tableaux de Léonard de Vinci ou des citations de Victor Hugo soient supprimées.
Pour construire Wikipédia, les bénévoles utilisent souvent du contenu posté sur d’autres plateformes (Internet Archive, Flickr, Youtube, etc.). Dès le niveau de la création de contenu, la directive va poser problème en terme de sources et restreindre l’accès des créateurs à un large public.
Selon moi, une directive réussie devrait permettre l’émergence d’un futur Wikipédia dans 5, 10 ou 20 ans. Si ce n’est pas le cas, c’est que la directive est néfaste à l’intérêt général. Je déplore que le débat n’ai pas reposé en France sur les bonnes questions et permis la préservation des piliers de l’éco-système d’Internet. C’est une question de préservation de l’environnement numérique qui a permis ce qu’Internet propose aujourd’hui de meilleur. Une génération entière d’européens s’oppose à la directive car elle en comprend les enjeux. Il semble que les législateurs de l’Union européenne en sont moins conscients et n’écoutent pas les questions légitimes de ceux qui font Internet, au jour le jour.
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